A Washington DC, les guides font de la résilience.
20 mai 2020.
Alors que le confinement se termine et que la vie reprend petit à petit, certains secteurs d’activité sont encore bien loin de retrouver leur normalité. C’est le cas du tourisme et particulièrement des voyages de groupe.
Dans la capitale américaine, petite bourgade de 700.000 habitants tout de même (hors métropole), le tourisme représente une activité économique importante bénéficiant à plus de 10% de sa population. Ce qui rend cette destination atypique est d’une part la faible proportion de visiteurs internationaux et d’autres part l’importance du voyage de groupe. La destination USA, qui se rapproche de l’échelle géographique européenne rappelons-le, offre une telle richesse que les visiteurs internationaux ciblent en priorité les villes phares telles que NYC, Miami, Los Angeles, Orlando (Disney), San Francisco, Las Vegas ainsi que les nombreux parcs nationaux. Hormis les fonctionnaires internationaux et les fans de House of Cards, rares sont les touristes internationaux à faire escale dans la capitale fédérale. Les visiteurs sont donc principalement américains avec une majorité de « repeaters » patriotes qui reviennent régulièrement célébrer la richesse et l’histoire de leur pays mise en valeur à travers les monuments à la gloire de la nation.
L’autre particularité de cette destination est l’importance du voyage de groupe et notamment des scolaires américains. Concentrés sur une période de 4 mois au printemps, un demi-million d’élèves originaires de tous les Etats du pays viennent séjourner dans la capitale pour y découvrir ses lieux de mémoires et participer in-situ à un cours d’éducation civique et politique qui s’inscrit dans leur curriculum, avec rencontre de leurs élus fédéraux à la clé ! L’ensemble des guides conférenciers de la ville est alors réquisitionné et d’autres sont recrutés dans tout le pays et logés à l’hôtel le temps de cette haute saison touristique. Les guides de Washington sont un joyeux ensemble hétéroclite composé de jeunes professionnels du tourisme et de vétérans de la « bulle » politique reconvertis en guide. Comme c’est désormais le cas en France, tous les guides ne sont plus seulement des professionnels du tourisme ou des spécialistes en histoire de l’art mais Washington DC a la particularité de compter parmi ses guides des anciens espions, officiers de l’armée, journalistes politiques ou encore employés fédéraux. Et c’est à l’initiative de ces anciens professionnels de la bureaucratie fédérale américaine qu’a été créée l’organisation professionnelle des guides conférenciers qui, avec près de 550 membres est aujourd’hui la plus importante des Etats-Unis.
Cette « Guilde » des guides conférenciers, dont la hiérarchie est digne des plus grandes corporations médiévales, est loin d’être anachronique et se révèle être d’une efficacité redoutable pour défendre les intérêts de la profession. C’est particulièrement vrai en ces temps de crise qui mettent le métier de guide en danger de survie. Dès les premières annulations de voyages et alors que faisait surface la crainte d’un blocage lié au Covid-19, la guilde a mis en place une Task Force, sorte de réseau de résistance avec pour missions la défense des droits des guides, qu’ils soient travailleurs indépendants ou micro-entrepreneur, et le soutien aux camarades de la corporation. Aux Etats-Unis, ceux-ci ne disposent pas toujours d’une structure syndicale professionnelle qui les représente et défende leurs droits. C’est d’autant plus préjudiciable en cette période de crise sanitaire qu’une partie des aides et des prêts distribués aux non-salariés ont eu la particularité de mêler des critères d’éligibilité vagues et d’être accordés sur une base de « first come, first serve » jusqu'à l’utilisation complète des montants débloqués. Disposer d’anciens administrateurs de l’état, d’avocats et d’une grande diversité de profils au sein de l’organisation prouve alors tout son intérêt pour conseiller les membres et influencer les décideurs. Dans le centre mondial du lobbying, dont le terme a pris racine dans le lobby de l’hôtel Willard à quelque encablure de la Maison Blanche, un kit d’action a rapidement vu le jour pour que chaque membre de la guilde se mue en acteur du plaidoyer auprès d’élus ciblés et considérés comme influents. Dans le même temps, la camaraderie corporatiste a permis à tous les membres de partager leurs compétences acquises dans une autre vie professionnelle pour faire en sorte que chacun optimise sa situation personnelle dans ce contexte de pandémie. Ce plaidoyer et cette solidarité ont ainsi permis à la très grande majorité des membres de recevoir les aides dès la mi-d'Avril 2020, ce qui est remarquable si l'on compare à la situation en France par exemple où les guides conférenciers sont toujours dans l'attente d'un soutient quelconque fin Mai.
Ces premières embûches franchies, il est désormais temps de réfléchir à l’avenir de la profession et de réinventer ensemble de nouvelles formes de tourisme. Certaines ont déjà émergées avec la création de visites thématiques panoramiques en ligne, d’animation de jeux interactifs politico-historiques construits sur le modèle des jeux de plateau participatif ou encore de jeux éducatifs à destination des classes d’adolescents américains. Dans un premier temps ses nouveaux produits ciblent les publics américains mais l’objectif est de les promouvoir à une échelle plus large. Toutefois, l’ensemble des guides a choisi ce métier pour sa dimension physique. Le guide est ce lien organique qui rapproche une œuvre abstraite et un regard perplexe, qui personnifie une histoire et transmet une émotion in-situ. Demain, le tourisme continuera de mettre l’humain, de près ou de loin, au centre de son dispositif. Le voyage sert autant à la découverte qu’à la rencontre et le guide restera ce trait d’union entre un lieu, une histoire, parfois au prix d’un débat didactique et rarement à l’abri d’une franche rigolade.